Eglise Saint-Eustache, Paris

CHRISTIAN LAPIE - EGLISE SAINT EUSTACHE

"L'Espace-Temps"

A l’intérieur de Saint Eustache, trois sculptures indépendantes sont réalisées à partir de troncs de chêne fendus à la main, elles sont assemblées en un Golgotha contemporain, faisant référence à l’équilibre des fresques de la Légende de la Vraie Croix (chapelle Bacci de la basilique San Francisco d’Arezzo), chef d’œuvre de Piero de la Francesca.

Devant le forum, les formes immobiles ressemblant à des hommes regardent la foule qui, à son tour, les regarde. Une sorte de connivence s’établit entre l’arbre, taillé au cœur et le passant.

L’artiste, né en 1955 à proximité de Reims où il vit et travaille, utilise des formes analogues dans toutes ses œuvres. C’est un dialogue avec l’humanité, d’une installation à l’autre, depuis l’espace d’une église, vers son extérieur puis d’un continent à l’autre.

« Des veilleurs qui nous regardent »

Les œuvres de Christian Lapie n’ayant pu être exposées comme prévu sur le Parvis de Notre-Dame, actuellement en chantier, le Diocèse de Paris a proposé à Saint-Eustache de prendre la relève. Le collège visuel, présidé par son curé, au regard de la qualité du travail de l’artiste reconnu internationalement et du sens que pouvait prendre son œuvre dans un lieu consacré, a souhaité accueillir ses sculptures pendant le temps du Carême.

De son côté, Christian Lapie a immédiatement réfléchi à une scénographie et des pièces qui soit signifiantes et adaptées à notre Eglise. Leur installation se répartit en deux temps. A l’extérieur dans l’espace public où tout un chacun peut regarder les œuvres à son rythme. A l’intérieur de l’église où le regard devient différent, peut inscrire dans la durée et la méditation. Ces pièces imposantes ont demandé toute une logistique pour les mettre en place, des démarches administratives et des autorisations préfectorales complexes qu’il ne faut pas négliger et pour lesquelles il faut remercier tous ceux qui y ont contribué.

Pour élaborer ses œuvres, l’artiste fend des troncs de chênes à la main, les sculpte à la tronçonneuse et les passe à l’huile de lin pour les rendre imputrescibles. Leur taille monumentale perturbe notre vision, nous oblige à reculer et à élever les yeux pour embrasser la totalité de leur volume. Sont-elles des silhouettes humaines ou de simples offertes à notre regard ? Cette hésitation, voulue par l’artiste, nous invite à penser au-delà du visible, à approfondir notre relation avec l’invisible et à vivre l’expérience de ce qui nous dépasse.

Toute bonne œuvre d’art s’ouvre à la lecture de chacun et nous invite à franchir le seuil de sa nouveauté. En ce temps de carême, la tension entre ces silhouettes à la fois hiératiques et déracinées, entre leur force de tenue au sol et leur élévation vers le ciel, ne peut que célébrer la figure du Christ mort et ressuscité. Ces troncs de chênes centenaires, arrachés à la terre par les tempêtes et les conflits, se dressent à nouveau dans l’espace pour nous rappeler aussi « notre humaine capacité à nous tenir debout ». Leurs silhouettes transfigurées ne peuvent que nous dire avec une force tranquille que nous sommes aussi des ressuscités.

Françoise Paviot