RX&SLAG, Paris

Pascal Convert

Constellations

RX&SLAG Paris est heureuse de présenter la deuxième exposition personnelle de Pascal Convert, juste un an après « Les voix qui se sont tues ». Il réunit aujourd'hui 14 œuvres – dont 8 créées spécialement pour l'occasion – pour nous parler de l'actualité en se tournant vers les étoiles, les constellations pour écouter la rumeur sourde du monde. Ainsi prend-il du recul et une certaine distance face aux flux d'informations qui brouillent la compréhension des conflits en cours. Il mêle différentes dimensions (temporelle, symbolique et poétique) par les techniques, les matériaux, l'importance de la couleur et sa réflexion pour « faire renaître les choses et aborder la question de ce qui survit et de ce qui fait trace humaine ».

 

Décentrer le regard

Des drames, des failles, des cicatrices. Pascal Convert accroche son regard sur des événements qui s'imposent comme des cataclysmes dans la vie d'individus confrontés à une folie indissociable de l'histoire de l'humanité. Mais contrairement à un Goya qui l'a traduite de façon directe et crue dans la série des gravures des Désastres de la Guerre (réalisées entre 1810 et 1815), Pascal Convert dézoome et décentre le regard. Il crée des œuvres dans lesquelles le temps semble suspendu, arrêté à un moment de l'histoire (Souches de Verdun cristallisées) ou consacrant une mémoire (Anna Politkovskaïa, Écorces de pierre, Les voix qui se sont tues #2). Tel un alchimiste, l'artiste transmute les horreurs des conflits en œuvres poétiques qui nous invitent à prendre le temps des questions et de la réflexion, loin des pièges des réactions passionnées.

 

Quelles constellations ?

Le titre de l'exposition renvoie à un ouvrage que Pascal Convert a publié en 2013 chez Grasset, La Constellation du lion, dans lequel il raconte son enfance, sa mère « cernée par l’angoisse et à l’ombre d’un père » grand résistant mais aussi les trahisons et les morts. « Avec l'exposition, on passe de cette constellation où s'imbriquent le familial et un pan de l'histoire à une constellation dans laquelle s'imbriquent l'hyper-actualité et un paysage plus complexe que la simple littéralité du journalisme d'actualité », pointe-t-il. L'art devient un filtre qui fonctionne par décantation et l'artiste, l'inventeur d'une nouvelle langue.

« Dans ces œuvres, je pose la question de l'imagination, la question de Susan Sontag : comment imaginer la douleur des autres ? À quel endroit se place-t-on pour imaginer ? Près ? Est-ce qu'on comprend mieux ? Peut-on imaginer en étant loin ? Tout cela paraît crypté mais j'ai voulu une exposition qui soit dans une actualité polysémique. »

 

Des matériaux palimpsestes

Dans cette nouvelle exposition, Pascal Convert se fait archéologue de la mémoire et superpose des temporalités. En effet, il remploie des plaques de verre produites entre les années 1930 et 1970, tels des ready-made sur lesquelles il intervient. Elles se font palimpsestes et se chargent de sens. Il grave le monitoring du dernier battement de cœur d'une personne » (Pan #2) – sur une dalle de Cirey bleu azur – ou d'un enfant qui vient de naître (Pan #3) – sur une dalle de Boussois rouge. Sur cette dernière figure une date : 15 avril 2019. Il n'en dira pas plus, à chacun de trouver à quoi elle correspond. Dans Le Jourdain, le fleuve biblique se transforme en une cicatrice qui barre la plaque de marmorite, un verre opale noir longtemps utilisé comme dalle funéraire mais dont la production s'est tarie. « Ce fleuve, qui sépare cette imbrication de territoires du Liban à la Mer morte en passant par Israël et la Cisjordanie, est devenu un ruisseau de sang. »

Dans Constellations, il pose sur des grandes plaques cobalt 13 cloches en cristal soufflé dont chacune recouvre un éclat de verre jaune d'urane, contenant un très faible taux d'uranium. L'association des couleurs évoque inévitablement le drapeau ukrainien...

La trace reste présente avec les empreintes obtenues par frottage au graphite sur des khatchkars du cimetière de Djoulfa (Écorces de pierre), ces stèles symboliques de la culture arménienne détruites par les militaires azerbaïdjanais. Un conflit qui laisse la communauté internationale indifférente.

« J'essaie de créer des formes qui pensent, qui nous donnent du temps », conclut-il.

 


 

Entretien avec Pascal Convert pour RX&SLAG Paris,

exposition « Constellations »,  du 3 mai au 8 juin 2024

 

Pourriez-vous nous éclairer sur le titre de l'exposition à la galerie RX&SLAG, « Constellations » ?

Ce titre vient de La Constellation du lion publié aux éditions Grasset en 2013, un livre autobiographique dans lequel je parle à la fois de la dépression de ma mère, de mon enfance, de son père qui était un grand résistant, des trahisons et des morts. Avec l'exposition, on passe d'une de cette constellation où s'imbriquent le familial et un pan de l'histoire à une constellation dans laquelle s'imbriquent l'hyperactualité et un paysage plus complexe que la simple littéralité du journalisme d'actualité. Je trouve que la période est très compliquée à comprendre et à analyser car nous n'avons jamais été dans une situation aussi chaotique au niveau de l'information, donc je me suis mis dans une position d'observation des constellations et des étoiles qui nous entourent pour tenter de comprendre ce qui se passe sur terre.

 

Est-ce que le choix du noir et blanc pour les photographies est une façon de prendre de la distance ou de parler du temps ?

Je l'ai utilisé pour les photographies d'Afghanistan et d'Arménie car la couleur crée une présence d'actualité. Ces œuvres sont faites avec des techniques hybrides, à la fois très anciennes et très contemporaines, comme si j'utilisais le télescope Hubble et la « Grande Lunette » astronomique de Meudon. Je combine la photogrammétrie aérienne de la société Iconem au tirage au platine-palladium qui nous renvoie au XIXe siècle et qui donne une teinte légèrement jaune et une certaine chaleur, à l'opposé de la froideur d'un tirage en noir et blanc. Dans cette exposition en particulier, les matériaux sont des indicateurs du temps, que ce soit le platine-palladium ou les plaques de verre qui datent des années 1930 à 1970. Parmi ceux-ci, il y a des grandes plaques cobalt Schott sur lesquelles sont posées treize cloches en cristal soufflé qui enferment un caillou en verre d'un jaune très particulier (Les voix qui se sont tues #2). Ce sont des fragments de jaune d'urane, soit un matériau contenant un pourcentage très faible de radiations.

Certaines des plaques de verre ont des défauts, des accidents qui portent une temporalité et la trace de la main de l'homme.

 

Comment traduisez-vous ce lien avec l'actualité dans les œuvres ?

Les gens verront des pièces qu'ils associeront directement à l'actualité, que ce soit l'assassinat d'Anna Politkovskaïa ou l'Arménie, avec en particulier la destruction des trois mille khatchars du cimetière chrétien de Djoulfa entre 2002 et 2006 par les autorités azerbaïdjanaises, mais plus généralement, l'exode actuel de ces populations et le désintérêt des politiques et des gens pour ce drame. Je ne suis pas Arménien mais je suis touché parce que c'est le premier pays chrétien. Je ne suis ni croyant ni athée, mais ce qui m'intéresse est la spiritualité. Ensuite, d'autres pièces sont liées à une hyperactualité tel Le Jourdain. Ce fleuve, qui sépare cette imbrication de territoires du Liban à la Mer morte en passant par Israël et la Cisjordanie, est devenu un ruisseau de sang.

Dans ces œuvres, je pose la question de l'imagination, la question de Suzanne Sontag : comment imaginer la douleur des autres. À quel endroit se place-t-on pour imaginer ? Près ? Est-ce qu'on comprend mieux ? Peut-on imaginer en étant loin ? Tout cela paraît crypté mais j'ai voulu une exposition qui soit dans une actualité polysémique.

 

Certains événements peuvent nous toucher et nous concerner selon notre proximité physique ?

Vous pouvez être touché par une comète qui passe dans le ciel tout comme par un événement qui se passe près de vous, cela dépend de sa luminosité et de sa durée de vie. Il y a aussi la question de l'appropriation qu'on m'a posée par rapport à l'Arménie et l'Afghanistan : étant donné que je ne suis ni Arménien, ni Afghan, je n'aurais pas la légitimité de m'approprier cette mémoire et la douleur humaine, or si, elles se partagent.

C'est une exposition difficile pour moi, je ne vous le cache pas, Les contextes qu’elle évoque, directement ou indirectement sont douloureux. Mais elle m'a permis de lancer des pistes pour l'avenir. Les verres anciens sur lesquels je grave l’inscription du temps d’une naissance, d’une mort, d’une tragédie renoue avec la pratique du trait, de la découpe, que j’ai utilisée dans de nombreux dessins muraux et ou dans des gravures sur verre. Le trait ouvre les temps.

 

Pourriez-vous pointer des œuvres créées pour l'exposition ?

Il y a deux pièces majeures, Les voix qui se sont tues #2 et la série des Pan qui lui font écho. Elles peuvent être le dernier battement du cœur ou la première respiration d'un nouveau-né. Je les ai appelées Pan en référence au Fra Angelico : Dissemblance et figuration de Georges Didi-Huberman. Sur la première, Pan #2, on voit les traces des briques réfractaires sur lesquelles elle a été coulée et au dos, le verre est au contraire d'un bleu marial totalement lisse. Sur cette bande de 1,42 mètres de long a été gravé le monitoring des derniers battements de cœur d'une personne qui vient de décéder. L'autre pièce gravée sur une plaque de Boussois rouge, Pan #3, elle est un de naissance. Il y a juste une date : 15 avril 2019. Les gens auront à s'interroger sur les signes que je laisse comme lorsqu'on regarde une étoile filante. Ces pièces sont entre la vie et la mort, comme dans les conflits.

 

Par rapport aux couleurs, vous évoquez le bleu marial du cobalt, le jaune d'urane et le rouge brique de la dalle de Boussois. Ce sont des couleurs que l'on retrouve dans la peinture classique. Peut-on faire le lien ?

La référence à la peinture est présente oui, c'est d'ailleurs une de mes expositions où la couleur est aussi présente et aussi dialectique. Le pan bleu sera en face de la dalle rouge et le jaune d'urane sur des dalles bleu cobalt. Ce sont des couleurs très pures comme dans les tableaux classiques. Le rapport à la peinture est très important chez moi, même si après avoir commencé par la peinture lorsque j'étais très jeune, j'ai rapidement arrêté pour m'intéresser au verre qui était l'incarnation d'un autre support qui permettait de faire de la peinture autrement. Le verre devient la peinture elle-même. Le lien à établir est plutôt avec les vitraux et les manuscrits médiévaux des Xe et XIe siècles.

 

Dans ce jeu de zoom entre l'actualité très récente et l'histoire plus ancienne, est-ce que c'est une façon de pointer quelque chose d'universel ?

C'est une manière de pointer une difficulté de mise en forme de la pensée dans une période d'hyper-actualité. Il faut donc prendre du recul, de la distance et avoir une approche complexe pour supporter l’ambiguïté à une époque où tout devient plus autoritaire jour après jour plus. Ma pratique artistique vise à faire renaître les choses et aborde la question de ce qui survit et de ce qui fait trace humaine. Il y a des moments, comme actuellement dans la cour d’honneur de la Fondation Bullukian à Lyon où l'intervention est très directe et spectaculaire et d'autres comme pour cette exposition qui sont plus marquées par une recherche intérieure. J'essaie de créer des formes qui pensent, qui nous donnent du temps.

 

Est-ce aussi l'occasion de repenser l'individu dans une destinée collective ?

Je pense qu'on a tendance à une hyper-individualisation, liée, en grande partie, à l'usage des réseaux sociaux et des outils numériques, et en même temps, comme l'analyse Bernard Stiegler, on a une perte de l'individu. Chacun est un héros et chacun est impuissant. Or c'est une question de point de vue. En regardant les constellations on relativise notre propre position. Il faut essayer de parler du monde dans une langue différente, comme les poètes.